Des ramen « haute couture » entre tradition et innovation : entretien avec les chefs Watanabe et Iyama 

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Après ma rencontre avec Kazufumi ISHII, Président de la société Kinboshi (lire l’interview ici), les deux chefs ramen tokyoïtes Naoki Watanabe et Chikara Iyama m’ont accordé une interview entre deux services. Je venais de déguster leurs ramen, les effluves de bouillon planaient encore dans le restaurant. Quel plaisir d’écouter ces deux hommes parler de leur passion commune : la cuisine et les ramen en particulier !

Quand et comment avez-vous commencé à cuisiner les ramen ?

Watanabe san : Avant de commencer à faire des ramen, j’ai été cuisinier dans de grands restaurants de cuisine italienne. J’ai voulu trouver un produit qui me ressemblait, ayant un impact sur moi, « ma signature ». J’ai découvert les ramen et je me suis dit « c’est ce que je veux faire ». Au Japon, chacun a sa manière de préparer les ramen, c’est un type de plat très personnel.

Iyama san : Ma mère était cuisinière de curry japonais. Quand elle a voulu arrêter le restaurant de curry, j’ai repris l’affaire. J’ai eu besoin de faire quelque chose « à moi » et ai donc commencé à faire des ramen dans mon restaurant de curry. Après le service de curry, de 21 heures à 3 heures du matin, chaque jour, j’ai fait des essais, j’ai goûté, pour élaborer mes propres ramen. Au bout d’un an, je me suis dit que le résultat était satisfaisant et j’ai fait goûter à des amis. Au début, après le service de curry du soir, j’accrochais une lanterne de ramen pour signaler aux passants que je pouvais les servir. Petit à petit, les clients ont commencé à venir et, un an plus tard, il y avait la queue. J’étais en banlieue de Tokyo et mon objectif était de proposer des ramen au centre de Tokyo. J’ai eu ensuite l’occasion d’ouvrir ma première adresse en plein cœur de Tokyo.

Quels sont vos plats signature ?

Watanabe san : Pour moi, ce sont les « shio ramen » (ramen au sel) car, pour préparer l’autre grand type de ramen, les « shoyu ramen », on utilise de la sauce soja, une sauce qui est « déjà faite ». Je choisis la manière dont je vais préparer mon bouillon au sel : celui d’aujourd’hui, par exemple, a été fait avec des moules. On peut le préparer avec d’autres ingrédients, tout dépend de la combinaison de bouillon que l’on souhaite obtenir et des ingrédients que l’on veut mettre dessus. Mon bouillon de moules cuisiné il y a deux jours est différent de celui que j’ai préparé aujourd’hui et je suis plutôt satisfait du résultat.

Ramen de canard

Iyama san : Pour la base de mon bouillon j’utilise des niboshi (petites sardines séchées) et d’autres aliments séchés : bonite et algue kombu. Ces ingrédients sont l’esprit de la cuisine traditionnelle japonaise, je souhaite que mes ramen l’incarnent.

Est-ce que vous avez un style ou une recette de ramen que vous préférez ?

Watanabe san : J’ai une base de menu plutôt basique mais je mets à l’honneur chaque semaine un ingrédient phare. Il y a des clients qui viennent uniquement pour goûter ces ramen spéciaux, durant toute l’année.

Iyama san : Je cuisine des plats à thème, traditionnels et innovants à la fois. Je conserve une base traditionnelle mais avec une ouverture sur des choses que personne ne fait. Pour le bouillon, j’utilise également des niboshi et autres ingrédients séchés mais j’y ajoute des choses nouvelles. C’est l’objectif de mon restaurant Yataragasu.

ramen vegetarien

Quel est votre processus de création ?

Watanabe san : J’ai une sorte de routine. Du vendredi au mardi, je propose un plat de ramen spécial. Entre temps, je réfléchis, je fais des essais. Cela fait dix ans que je travaille comme cela. Toutes les mères préparent chaque jour des plats différents, ce que je fais n’est rien par rapport à elles (rires).

Iyama san : J’ai plein d’idées, plein de choses dans ma tête. J’aime ce que je fais, j’aime créer, j’aime manger. Je collabore régulièrement avec de grands chefs étrangers, j’aime leur travail.

Watanabe san : Moi c’est pareil, je ne cuisine pas pour moi, je fais cela pour servir les gens et je suis heureux en même temps.

C’est quand même incroyable de trouver toujours de nouvelles idées sur un plat apparemment simple comme les ramen, comment faites-vous ?

Watanabe san : Je ne souhaite pas faire les choses comme les autres. J’ai même créé des nouilles vertes. C’est pour cela que je préfère les « shio ramen » car tout le monde fait des « shoyu ramen ». J’utilise des ingrédients insolites comme l’oursin ou je remplace la ciboule par d’autres herbes japonaises comme du mitsuba. Il reste encore beaucoup de possibilités !

Iyama san : J’ai la tête qui tourne à 100 à l’heure, j’ai des idées tout le temps. Je fais des mémos, lorsque je mange dans un restaurant, j’ai des idées qui viennent, je note, cela va très vite. Un autre point très important pour moi est que ce soit très beau à regarder.

J’ai entendu dire qu’il y avait des différences dans les goûts des ramen selon les régions, vos ramen ont-il le goût de Tokyo ou sont-ils totalement inédits ?

Watanabe san : Je ne fais pas attention à cela, je fais ce que je veux.

Iyama san : J’ai un restaurant à Tokyo et une dizaine de restaurants dans d’autre régions. La culture du bouillon dashi diffère fortement selon les régions. A Osaka par exemple, c’est de la bonite séchée (katsuobushi) fraîchement râpée. Je fais mes ramen selon ma conception mais quand je change de région, je souhaite mettre une petite touche spécifique pour faire plaisir aux clients locaux. A Tokyo c’est multi régional, il n’y a pas de style propre à Tokyo.

Si l’ouverture d’un restaurant en Alsace se concrétise, prévoyez vous d’utiliser des ingrédients typiques pour créer des recettes inédites ?

Watanabe san : J’ai l’habitude de privilégier les ingrédients locaux. C’est le côté intéressant des ramen, on peut facilement adapter les recettes selon les ingrédients disponibles. Ce sera intéressant de pouvoir découvrir la culture locale et de la lier aux ramen. Si des gens ont des idées, je serai heureux d’en discuter, on peut tout faire !

Quelle a été la réaction du public alsacien qui a eu la chance de goûter vos ramen ?

Watanabe san : Je suis très satisfait du retour des clients mais j’ai été très déçu par certains chefs dans les restaurants qui nous ont accueillis car ils ne se sont pas intéressés à ce que nous faisions. Or c’est la base pour pouvoir diffuser la culture des ramen.

Iyama san : C’est un peu la même chose pour moi, il n’y a pas encore de culture de ramen à Colmar. C’est un petit pas. Nous reviendrons l’année prochaine et je compte sur vous pour travailler à faire connaître les ramen en Alsace d’ici notre retour (rires).

Le chef Naoki Watanabe

chef ramen watanabe

Propriétaire du restaurant Menya Rokkan’do dans le quartier d’Ikebukuro à Tokyo, Naoki Watanabe aime privilégier les ingrédients sains pour créer des recettes de ramen équilibrées. Ses plats emblématiques : les shio green noodle (des nouilles vertes aux algues d’Ishigaki) au yuzu, au mitsuba, à l’oignon rouge, aux pousses de bambou et à la viande confite ou encore les vegan ramen, entièrement végétaliens.

Le chef Chikara Iyama

chef ramen iyama

À la tête du restaurant Yatagarasu Chikarabo dans le quartier Suidôbashi à Tokyo, le chef ramen Chikara Iyama se distingue par un sens esthétique poussé et une recherche d’équilibre entre innovation et tradition. Ses plats signature : les curry ramen, les tomato ramen ou encore les ramen aux raviolis wonton de crevettes blanches. Pour les assaisonnements, il utilise des huiles parfumées, de l’huile de canard ou encore de l’huile de sésame blanche épaisse, pour des saveurs profondes et raffinées.

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