Lecture nourricière : la vraie cuisine parisienne
Ce très bel ouvrage de Christian Boudan a été publié aux Editions de l’épure, dans la collection « lectures nourricières ». J’adore le nom de cette collection, qui pourrait regrouper nombre de livres de ma bibliothèque, comme ceux de Jacques Médecin, Pellegrino Artusi ou d’autres ouvrages de cuisine japonaise. Il ne s’agit évidemment pas d’un de ces livres où les recettes sont accompagnées de photos clinquantes et prêtes à consommer, parfois achetées dans des banques d’images, avec un texte limité au strict minimum. Le livre mêle les analyses historiques et sociologiques des différents aspects de la cuisine parisienne à des recettes, que l’on pourrait imaginer figées dans le passé, ce qui n’est pas du tout le cas !
Un historique et une photographie à l’instant T de la cuisine parisienne
A l’heure du travestissement des saveurs par la cuisine industrielle, on est tentés – et moi le premier – de sacraliser les recettes du passé. Certes, une cuisine maison suivant ces recettes sera toujours plus savoureuse et utile pour l’organisme que les plats vides et trafiqués proposés tous prêts à la vente ou servis dans les mauvais restaurants. Mais rester farouchement bloqué sur ces références serait oublier que le patrimoine culinaire ne cesse d’évoluer, se nourrissant des mouvements de populations, de la situation financière et politique du pays, des techniques de cuisson, des modes et des styles de vie, de l’avancée des connaissances en médecine et en diététique.
Il faut ainsi avoir une parfaite connaissance de tous ces phénomènes, dépassant largement le champ du savoir-faire culinaire, pour proposer un historique et une photographie à l’instant T de la gastronomie d’un pays ou d’une région.
C’est précisément ce tour de force qu’a réussi Christian Boudan, spécialiste de l’histoire internationale de l’alimentation et des cuisines. Il nous conte, au travers du prisme culinaire, l’histoire des Parisiens. C’est en décortiquant les principales caractéristiques des plats parisiens à travers les siècles que Christian Boudan a réussi à créer des recettes fidèles aux racines de la cuisine parisienne, mais adaptées aux goûts et aux modes de préparation d’aujourd’hui.
La cuisine parisienne à travers les âges
Christian Boudan remonte jusqu’au temps de la Gaule celtique pour nous apprendre que la situation géographique privilégiée de Lutèce lui a permis de faire cohabiter le goût pour les viandes, la charcuterie et les produits laitiers hérité des Germains avec celui des légumes, des aromates et des vinaigres apporté par les Romains venus du sud.
La Région parisienne fut longtemps une région viticole dont la production de vins blancs locaux a ensuite été supplantée par les autres terroirs viticoles français, le goût des Parisiens ayant évolué. Il reste de ces époques beaucoup de recettes à base de vin et de vinaigrettes, cultivant le goût de l’acidité.
Les salades vertes et légumes d’hiver ont également une place de choix dans le répertoire parisien, certaines zones de la ville, vivant au rythme des crues de la Seine, ayant longtemps été boueuses et marécageuses. Les céréales des grands plateaux alentours ont également permis de développer le savoir-faire parisien en matière de pain et autres pâtisseries.
Au-delà des produits, on comprend également l’influence de la cuisine de Cour qui privilégiait l’opulence et la variété des mets. Les plats étaient ainsi couverts de diverses sauces luisantes pour multiplier les recettes et briller sur la table. De cette période, la cuisine parisienne a également hérité de la pâtisserie décorative, reine des banquets. Puis arriva la Révolution Française qui a mis « au chômage » les cuisiniers de la Cour et les a ainsi amenés au centre de Paris, à la tête de restaurants et de boutiques.
Enfin, la cuisine parisienne garde dans son ADN le goût du bouilli, du surcuit et des purées encore persistant dans certaines spécialités et principalement dû aux appareils de cuisson qui servaient également de chauffage dans les logements exigus.
Une cuisine enrichie d’influences étrangères
Au fil des siècles, les habitudes alimentaires de la population de Paris ont été également influencées par différentes cultures extérieures : d’abord l’Orient (cuisine épicée) puis l’Italie (huile, fromages, charcuteries, pâtes), l’Angleterre (viande saignante et beurre fondu en finition), l’Allemagne (bières et brasseries) et, plus tard, l’Amérique et l’Asie. Tous ces goûts étrangers n’ont pas imprégné la cuisine parisienne de la même manière : certains faisant écho aux palais, habitudes et envies des Parisiens ont été totalement adoptés alors que d’autres resteront entre les quatre murs des cuisines des familles expatriées.
En conclusion
Vous l’aurez compris, la vraie cuisine parisienne de Christian Boudan m’a ouvert les yeux sur la complexité de qualifier une cuisine traditionnelle en perpétuelle évolution et la nécessité de ne pas la laisser figée dans les recettes du passé, dont certaines préparations, par méconnaissance ou manque d’outils adéquats à l’époque, peuvent et doivent être adaptées pour correspondre au goût actuel.
Cela m’a fait penser aux plats que j’aime et à ma manière de les cuisiner, différente de celle de mes parents ou de mes grand-parents, même si j’en serai toujours imprégné. Cela a également fait écho à mon souci de préparer des plats japonais authentiques, qui eux-mêmes ont été influencés et continuent de l’être par l’occident et les divers flux migratoires du pays.
Si le sujet vous intéresse, je vous encourage donc vivement à vous procurer ce livre qui, j’en suis sûr, vous passionnera autant que moi !
Je vais regarder ce livre, j’aime quand on raconte une histoire à travers des recettes, celle d’une personne, d’une région. Beaucoup de gens pensent, hélas, qu’il n’y a pas de cuisine ou de recettes traditionnelles de Paris et de sa région, alors qu’il y a de nombreux plats connus (dont la fameuse Sauce Béarnaise) et un vrai terroir. Merci pour ce partage